Alors qu'on continue de gloser sur la suprématie du format vinyl en omettant d'en préciser les fondamentaux, à savoir qu'elle dépend tant du soin apporté à la production musicale - de l'enregistrement jusqu'au pressage test - que des procédés techniques de fabrication du disque lui-même (qualité des matières premières, réglage ad hoc de chaque machine faisant partie de la chaîne de production, rapport signal/bruit maîtrisé...), nous autres diggers attribuons surtout cette supériorité à la possibilité d'écouter des enregistrements uniques, rares, oubliés, inconnus, disparus. Chacun de ces qualificatifs est assez signifiant, mais ils peuvent à eux tous caractériser le même objet : dans ce cas c'est l'extase assurée.
C'est en Suisse, du côté de Neuchâtel, qu'il faut aller dénicher le mystérieux septet Dizzy Bats, dont l'excellent LP "The Light and the Dark" constitue la seule trace discographique. Petit pays + petite renommée + petit pressage : pas de doute, on est à fond dans le deep. Que demander de plus ?
Sur les huit titres que contient cet album arrivé dans les bacs au début de l'année 1976, sept sont issus du répertoire US jazz du moment, et les références visent assez haut : Gary Burton, Chick Corea, Wayne Henderson, Billy Cobham, Sonny Rollins, Stix Hooper, Weldon Irvine. Du TRES beau monde ! Le choix des morceaux (tous instrumentaux) est des plus inspirés, parole de jazzfunk addict, et pioche dans des albums sortis entre 1970 et 1973, en se référant à la plus ancienne version publiée. Interprétées fidèlement par des musiciens inconnus mais dont la virtuosité technique ne souffre d'aucune contestation, ces glorieuses compositions retrouvent une patine artisanale bienvenue. Non que cela constitue une franche redécouverte, mais le son artisanal du studio Max Lussi de Bâle ajoute en fraîcheur à ces thèmes qu'on reconnaît peut-être plus par le grain typique des productions des majors de l'époque que par le travail d'écriture, pourtant remarquable : "Le Lis" et "Liberated Brother" sont des classiques 70s affirmés et souvent cités, "Leroy the Magician" (qui a inspiré Bernard Lubat et Hervé Roy sur le disque "Vibrations") ou encore "What Game Shall We Play Today" (à l'époque chanté par Flora Purim, la compagne d'Airto Moreira) mériteraient de l'être autant. L'excellent morceau éponyme "The Light and the Dark" se hisse sans peine au même niveau que ces pépites. Il est composé par Philippe Bovet, qui avec François Borel - crédité sur la rare bande originale de "L'Oeil Bleu" - est le seul membre de Dizzy Bats dont on a pu retrouver trace par ailleurs. Cela n'enlève rien aux qualités des autres protagonistes, du saxophoniste au bassiste en passant par le batteur : ils prennent tous au moins un chorus sur l'album et s'en tirent admirablement, dans un esprit proche de l'œuvre jouée mais suffisamment distant pour se l'approprier, le tout sans faiblesse ni sur-étalage technique. En un mot, ce disque est une réussite, et pas seulement dans ce registre jazz groovy qui n'a finalement eu de réelle prise qu'en Allemagne et en Europe Centrale et du Nord - la France et l'Angleterre préférant le free jazz ou le jazz progressif. Quoi qu'il en soit, "The Light and the Dark" est un opus des plus agréables qui mérite de revoir enfin la lumière !
Oh Ye.