mercredi 1 juillet 2020

La Velle • Brand New Start

Tiens donc, voilà un bien prémonitoire titre en cette époque incertaine ! Allez tous en selle, on se relance !… Mais… attends attends… c'est quoi cette bouse ? qu'est-ce qui se putain de passe ? holà holà ! qu'est-ce qu'un f** disque de variété vient faire dans ce blog ??
Hum. A vrai dire c'est le hasard qui l'amène : ce LP a littéralement surgi entre nos mains lors du contrôle discal hebdomadaire de la boutique Plexus Records, où le bac "boogie-disco" venait tout juste d'être réassorti. Non pas que nous ayons subitement trouvé d'impromptues qualités à ce LP dont la cote plancher est assez justifiée, en vérité c'est tout simplement la typographie pourtant relativement convenue du verso de pochette qui a fait tilt dans nos esprits.
De quoi ? La typo, sérieux ??!!? Dammit… 4 ans de retraite et 2 mois de confinement mais toujours aussi deep ceux-là… Incurables. Ah mais c'est vrai, la library tout ça… ok ok.
Bah ouais les gars, en confrontant le verso de pochette avec celui de "L'Orchestre", on constate une similitude franche, jugez plutôt :


Il se trouve voyez-vous que la chronique du disque d'Ivan Jullien était en pleine élaboration au moment de notre simple visite, et comme le post désormais publié l'indique, il se trouve, again, que l'un des morceaux ("Blues in the Night") est justement chanté par La Velle. De plus, ce lien fortuit amena son questionnement fortuit (ou pas) : et si les musiciens de ces disques à l'apparence semblable étaient les mêmes ?? Sans surprise, c'est à peu près le cas avec au casting André Ceccarelli, Tony Bonfils, Raymond Gimenes et Alex Perdigon, auxquels s'ajoutent Jean-Claude Chavanat, Pierre-Alain Dahan et Jean-Pierre Sabar... en gros c'est du pur requin heavyweight tavu, rien qu'avec ça c'est la psychanalyse assurée.
Est-il besoin de rappeler que la pratique du digging consiste essentiellement à cheminer dans le labyrinthe des productions discographiques en reliant les disques les uns aux autres ?? Au moment d'écrire ce laïus nous écoutons le morceau "The Eastern Question" et nous découvrons (fortuitement !) que les sonorités orientales sont les mêmes que sur "Dancing for You" ; ne seraient-ce pas aussi les mêmes musiciens, instruments, studios ou chauffeurs de taxi ? Le mystère reste entier, merci la library ! Bon… Refermons la parenthèse et redressons la typo…

La Velle (de son vrai nom Louise Lavelle McKinnie Duggan) a pour ainsi dire chanté toute sa vie : grâce à ses parents eux-mêmes musiciens, et du fait d'aptitudes vocales étonnantes affichées dès son enfance - ce n'est pas Yma Sumac, mais quand même. Selon Wikipedia, elle fut en son temps la plus jeune inscrite du conservatoire national de Chicago, et décrocha plusieurs titres prestigieux à la Julliard School of Music avant même sa majorité : de quoi lancer une brillante carrière de chanteuse lyrique, elle qui était passionnée de musique classique. Malheureusement ce milieu pour le moins conservateur - et certainement très raciste - ne lui fait pas de fleurs et la jeune prodige n'a d'autre choix que de se réorienter. Elle choisit alors courageusement de quitter son pays pour venir en France afin de faire sa place dans le game : trois albums paraissent rapidement de 1978 à 1981, celui de 1979 (qui précède donc celui-ci) s'avère d'ailleurs assez réussi. La Velle poursuit ensuite une carrière d'artiste free-lance en jonglant d'un statut à l'autre (choriste, animatrice de master-classes…). Après une vingtaine d'années passées dans l'Hexagone, elle s'installe finalement en Suisse, où elle résidera jusqu'à sa mort en 2016. Elle laisse le souvenir attendri d'une personne généreuse, énergique et talentueuse. 
Si électriser les foules est une compétence bienvenue, en studio c'est une autre histoire. Comme une évidente contrepartie, les apparitions discographiques de La Velle ne sont pas inoubliables. Sa voix singulière attire l'attention et intrigue, c'est sûr : entre rondeur et  puissance, les inflexions et les articulations sont particulièrement précises et inhabituelles dans le genre ; cependant il y a aussi un petit côté lassant... Pas plus que les précédents, cet album "Brand New Start" de 1981 ne sera le départ de rien du tout, la faute à des mélodies assez peu catchy et des techniques vocales éloignées des habitudes du public français élevé à la variet' (se souvenir des shows TV clinquants de l'époque). Certes la production d'ensemble est très propre et les compositions proposent une réelle diversité (disco, reggae, gospel, groove), mais en dépit du casting précité ça ne casse pas trois pattes à un canard… Il y a clairement mieux ailleurs. Autant clore le chapitre là-dessus et attendre un nouveau post plus excitant.

mercredi 15 avril 2020

Ivan Jullien • L'Orchestre


La raison d'être de ce blog, vous le savez, provient de l'anonymat plus ou moins épais dont nos trouvailles discographiques se font l'étalage. Pourtant l'opus responsable de notre comeback n'est pas l'œuvre d'un inconnu ! Dépositaire de quelques milliers d'arrangements et de centaines de compositions dispensés tout au long d'une carrière de près de 50 ans, son auteur est en effet un pilier incontournable de la musique populaire française. Encore mieux, la plupart de ses albums sont d'authentiques pièces de rare groove ! Alors… Alors il était grand temps de rendre hommage au regretté Ivan Jullien, et de rappeler l'importance de sa contribution à notre plaisir d'auditeur sensible et de bon goût (wesh cimer gros).
Trompettiste et arrangeur, directeur d'orchestre et professeur, Ivan Jullien est à bien des titres un acteur-clé de l'expression musicale hexagonale. Citons ses innombrables arrangements pour chanteurs de variété, ses relectures originales d'œuvres célèbres (le traitement de Porgy and Bess est hautement enthousiasmant) ou ses compositions de musiques de films et de library, toujours jazz mais jamais nases (prends ça, Frederic B). Ajoutez à cela une vingtaine d'années d'enseignement des techniques orchestrales et la rédaction d'un Traité de l'Arrangement en huit volumes, inestimable thésaurus pour accessibiliser (sic) cet art autant exigeant que primordial, et vous obtenez un modèle unique de compagnonnage artistique contemporain, aussi historique que la contribution d'Ennio Morricone pour le cinéma (tiens, un autre trompettiste). Mais nul besoin de comparaison pour s'assurer du talent d'Ivan Jullien : il n'y a qu'à écouter ses disques pour s'enchanter. Ses partitions témoignent d'un dynamisme immédiat et franc, traduit avec passion et justesse par leurs lecteurs et apprécié comme il se doit par les diggers. C'est peu dire que le big band d'Ivan Jullien a constitué une école fertile pour plusieurs générations de musiciens aspirants professionnels autant qu'un repaire familial chaleureux pour des dizaines de stars amies, dont les noms nous font spontanément prêter une attention toute particulière (voir ci-après).
Sobrement (et sans trop de risque) intitulé "L'Orchestre", l'album que voici est un enregistrement studio du début des années 80. C'est sans doute pour cela qu'il attend toujours sa réédition (y compris en CD...), les œuvres jugées mineures attendent toujours plus longtemps leur seconde vie… En tout cas cela s'entend très peu dans la production d'ensemble : aucun synthétiseur cheapos dégueulasse n'a été employé, et pas non plus de batterie séquencée à déplorer (ouf). L'instrumentation est fidèle aux canons des big bands contemporains et la distribution ne souffre aucun reproche. Comme on peut s'en douter, il y a du beau monde dans le groupe en dépit du renouvellement générationnel ! C'est en gros la rencontre du big band d'Ivan Jullien et du groupe d'André Ceccarelli (cf. son album éponyme de 1981 sur JMS). Parmi les rescapés de l'époque "Synthesis", on retrouve des habitués des sessions de library comme Jacques "Kako" Bessot (Hexagone, J. Nilovic et autres sessions MP2000 : les notes de trompette plus hautes que les étoiles, c'est lui !) ou Alex Perdigon (les productions de Jean-Claude Pierric comme par exemple Godchild), les cadors Jean-Louis Chautemps et François Jeanneau qu'on ne présente plus et le power trio so french fusion constitué de Raymond Gimenes (ex-Mad Ducks) à la guitare, Tony Bonfils à la basse et donc Dédé Ceccarelli à la batterie - une paire déjà rencontrée dans le projet Working Progress et dans les nombreuses productions de Jean-Pierre Massiera. A ceux-là s'ajoutent plusieurs invités, dont la chanteuse de gospel La Velle qui venait de s'installer en France pour lancer une carrière qui se refusait à elle dans son Amérique natale.
Contrairement aux crédits de pochette, nous avons choisi de traiter la face A comme un unique morceau (cf. vinyl rip). L'écoute révèle en effet que cette suite a été enregistrée en une prise continue, il n'y avait donc pas lieu de rompre cet enchaînement. Cette pièce de choix s'inscrit dans la lignée des compositions épiques dont Ivan Jullien nous a habitués dans ses opus précédents ; l'introduction progressive (elle s'étend jusqu'au troisième des cinq mouvements !) offre un crescendo contrôlé tant dans l'intensité que dans la gestion du tempo. Impacts percussifs par la batterie, les claviers ou les gros cuivres et phrasés lyriques se succèdent avec clarté et énergie. Outre cette qualité d'écriture si évidente chez Ivan Jullien, c'est
la maîtrise du RYTHME qui fait tout l'attrait de sa signature. A vrai dire, n'est-ce pas le propre du big band ? En tout cas dans "L'Orchestre" ça swingue-shuffle-groove top of the pops tu peux pas test© attention nous déposons cette formulation à la société des auteurs. Les articulations sont punchy, définitivement dynamiques et surtout bien moins prévisibles que chez la concurrence : pas de bouillie de cuivres à l'américaine (rien que d'évoquer Don Ellis, on perd des médiums…) ni d'effets pompeux façon Love Boat ou fête de la bière… Chauvins nous sommes ? Farpaitement ! C'est la finesse de France, ça, monsieur ! Enfin, c'est surtout un travail d'artisan : juste ce qu'il faut de cuivres donc, et une rythmique au complet : toujours mise en avant, elle assume son rôle sans se le faire chiper par les autres pupitres. L'équilibre, on vous dit… Toujours est-il que la montée introductive susévoquée culmine à l'arrivée du groove dans le morceau I.M.F.P. Size (sans doute un clin d'œil à l'Institut Musical de Formation Professionnelle, allez savoir) et chevauche longuement jusqu'au chorus de Jean-Louis Chautemps, qu'on est bien surpris de retrouver dans pareil contexte ! Cela se termine tout aussi progressivement avec une seconde version, étirée, de chacun des deux premiers mouvements, le tout énoncé symétriquement par rapport aux premières !! L'équilibre, on vous le répète… En définitive, l'auditeur retrouvera tout au long de cette face les ambiances déjà appréciées dans les albums "Synthesis" et surtout "Porgy and Bess".
La face B s'ouvre sur une composition somptueuse dénommée  "Batucada por uma Cidade Desconiahecida", c'est-à-dire "batucada pour une cité inconnue", dont le feeling brésilien n'échappera à personne (à Trump, peut-être). La progressivité de l'introduction et la construction symétrique sont encore de la partie, mais on retiendra surtout la vivacité et la féérie du morceau, qui rappelle de glorieux précédents tels "Liberalia" de Vincent Geminiani. L'écriture harmonique est simplement superbe et le morceau avance, avance… Certes son bounce est moins souple que chez les Brésiliens eux-mêmes, mais à lui seul ce track justifie qu'on ose une repress, tant cette batucada de l'inconnu se montre totalement transcendante. Last but not least, le maestro délivre ici un de ses chorus les plus mélodieux. A réécouter en boucle et en boucle !
Composé par Bernard Arcadio, pianiste de la session et frère d'armes niçois de Ceccarelli, le morceau suivant "Idée au Logis" (humour de France©, encore) est tout à fait efficace avec ses syncopes nerveuses, et constitue assurément une belle carte de visite. L'improvisation d'Ivan Jullien est suivie d'un solo de saxophone inspiré et concis (c'est important !) du dénommé Pierre Mimran, nous ne le connaissons pas mais il possède sa page sur discogs, alors bon. Quoiqu'il en soit, on en a pris plein les oreilles pendant une demie-heure, et c'est avec retenue
et un standard (zeugma) que l'album trouve sa conclusion : "Blues in the Night" de Johnny Mercer, popularisé en son temps par Frank Sinatra, est ici chanté avec à-propos par La Velle, dans un registre évoquant fidèlement Broadway et ses comédies musicales.
En résumé, ce disque est vraiment très bien et mérite à tout prix d'être redécouvert, sinon réédité, mais ça vous l'aviez compris. Curieusement, c'est une création live
on ne peut plus recommandable car elle envoie le boulet côté rythmique d'Ivan Jullien captée au festival de Nancy en 1973 qui a été exhumée dernièrement : pour le vinyl regardez donc par ici.

mercredi 1 avril 2020

Nettoyage de printemps ?

Food-truck de l'époque préhipsterique (photo Yann Arthus-Bernard)
Back from nulle part ! En voilà une surprise, n'est-il pas. C'est à croire que notre absence accéléra la décrépitude de la civilisation paranoïaque à laquelle nous sommes inféodés ? Hum. Ces mots écrits courant février (eh ouais...) résonnent d'autant plus singulièrement en pleine réorganisation sanitairement contrainte du quotidien. C'est la valse des logiques et le tempo est plutôt bancal : on en vient à prescrire un temps minimum loin des écrans, quel comble... Mais bon dieu la meilleure hygiène domestique qui soit, c'est la musique !! Avouez d'ailleurs que ça vous manquait, les exhumations vinylifiques (sic) servies par le style inimitablement ampoulé de notre rédacteur insomniaque ! Il n'y a pas de honte à cela. Nonobstant, la publication de chroniques plus ou moins obscures fait-elle encore sens en 2020, alors que le vaste Internet permet, après désinfection, d'écouter et/ou acheter à peu près toute la production discographique passée ? L'explication tient en quelques phrases compliquées que nous n'écrirons pas. Profitons plutôt du moment présent sans trop faire chier les voisins (et réciproquement). Restons dignement deep et nous mourrons tranquilles.